Charles de Gaulle, dernier capétien

Tout a été dit, tout a été écrit sur Charles de Gaulle. C’est du moins ce que l’on serait tenté de penser face à l’invocation ad nauseam de son nom dans nombre d’analyses et de discours politiques ou devant les étals des kiosques et librairies. C’est un fait : les années gaulliennes sont, depuis la fin de l’illusion mitterrandienne, le mètre-étalon des acteurs et commentateurs de la vie politique française. De Gaulle et son action au service du pays sont sans cesse comparés à ce qui leur a succédé – ce qui est forcément à leur avantage. Il est donc opportun de souligner, dans cette surabondante production littéraire et éditoriale, la sortie d’un livre qui prend le parti inverse : mesurer De Gaulle non pas à l’aune de ce qui l’a suivi dans l’Histoire, mais de ce qui l’a précédé, en le plaçant dans la continuité historique de la royauté française.

C’est l’idée que développe l’essai Charles de Gaulle, le dernier capétien (VA Editions, septembre 2017), co-écrit par deux amateurs d’histoire : Richard-Alain Marsaud de Labouygue, juriste, et Jean-Côme Tihy, journaliste. En plaçant la figure du général dans l’héritage de la monarchie capétienne, les auteurs font le choix audacieux d’écarter les différences évidentes – les époques, les régimes – pour faire de 1958 la fermeture d’une parenthèse ouverte en 1789. Les auteurs entendent montrer que l’épopée gaullienne permet au pouvoir, pour la première fois depuis la Révolution, de renouer avec succès avec une philosophie monarchique de l’État mêlant autorité et transcendance. Une approche originale et stimulante.

En s’ouvrant sur quelques pages de généalogie, l’essai place d’emblée De Gaulle et ses ascendants dans la longue histoire en révélant les nombreux ancêtres du général qui ont servi les rois de France. On découvre notamment les faits d’armes d’un Jean de Gaulle qui, au début du XVe siècle, s’illustre face aux Anglais, notamment à Azincourt, et finit exilé en Bourgogne où la branche familiale directe de Charles de Gaulle prend racine. Peuplé de « clercs, commis de l’État et érudits, écrivains de province et secrétaires de cour », l’arbre généalogique des De Gaulle témoigne sur plusieurs siècles d’une lignée attachée au service du pays et de la Couronne. Un attachement que l’on retrouve dans les échanges qu’a entretenus jusqu’à sa mort le général de Gaulle avec le Comte de Paris Henri d’Orléans, et parus dans le recueil Dialogue sur la France, correspondance et entretiens 1953-1970 (Fayard, 1994). C’est en partie grâce à ces échanges, portant beaucoup sur la nature et l’office du politique en France, que l’on a eu connaissance des réflexions du général sur l’opportunité d’une restauration monarchique après la guerre. Son séjour en Pologne en 1920, durant lequel il dispensa des cours à des officiers supérieurs de l’armée polonaise renaissante, est assurément une étape essentielle de ce cheminement intellectuel : au pays de la monarchie élective, De Gaulle façonne une conception du pouvoir et de sa légitimité qu’il développera à Bayeux en 1946.

L’essai se fait l’écho de cette conception et de ses réalisations en revenant longuement sur l’histoire du gaullisme au pouvoir. Le cœur de l’ouvrage se situe dans une relecture de l’action gaullienne à l’aune d’une éthique du service et de la légitimité que les auteurs veulent éminemment royale. Sur le plan institutionnel notamment, la constitution du 4 octobre 1958 et la nouvelle république qu’elle consacre sont l’illustration d’une conception monarchique du pouvoir où la présidence s’impose en « clef de voûte des institutions ». Elles marquent l’avènement d’un pouvoir exécutif prédominant, central et fort, maître des armées. Elles permettent l’incarnation et l’unité du pouvoir, garantes de la cohésion, de la puissance et de la grandeur du pays. Elles s’inscrivent ainsi, en somme, dans une double continuité, républicaine et royale, et consacrent ce que Maurice Duverger avait appelé une « monarchie républicaine ».

L’essai se conclut sur quelques observations sur la situation politique actuelle de la France, pour déplorer l’inconsistance et la dangereuse faiblesse du politique qui y règnent. La puissance, l’unité, la souveraineté du pays sont aujourd’hui aussi fragiles que la présidence – façonnée à la taille d’un De Gaulle capétien – est faible, dans ses attributs comme dans son incarnation. Dévoyée dans sa nature, dépossédée de ses moyens, dépourvue d’une légitimité autre qu’un succès électoral contingent et relatif, l’incarnation du pouvoir voulue par le général de Gaulle, sur le modèle d’une monarchie millénaire, est à repenser dans une époque dépourvue de transcendance et de hauteur.

L’essai initie avec succès, par la profondeur historique qu’il embrasse, cette réflexion indispensable.

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