Valentin Feldman, mort pour nous tous

Un 8 mai de plus derrière nous, et pourquoi faire ? En 1984, deux mains sur une photo – celles de Mitterrand et Kohl – émeuvaient, dit-on, les foules des nations qui s’étaient déchirées. Beauté d’un geste resté gravé dans les mémoires comme le symbole d’une réconciliation. Peut-être que quelque chose avait fini par germer ce jour là, admettons, pour faire simple et laisser toute sa signification à ce symbole contemporain. Demandons-nous plutôt qui avait semé.

En juillet 1942, Valentin Feldman, résistant français, tombait sous les balles d’un peloton d’exécution allemand. Il n’est pas parti sans nous laisser de testament. Ce n’est certes pas à nous qu’il l’avait adressé, mais son dernier cri doit nous interpeller.

« Imbéciles, c’est pour vous que je meurs ! »

Conjuration pathétique ? Dernière leçon d’un communiste aux pions de l’ennemi ? Leçon patriotique en tout cas. Il y aurait mille choses à dire sur la signification d’un tel appel, ce qu’il dit de la considération de l’ennemi. L’ennemi mon frère bien aimé ! La figure de ma propre question ! Car la balle allemande ordonnée par le tribunal militaire nazi percute ici un Juif, Français, Résistant. Son triple ennemi, trois fois coupable de vivre et qui trouve encore la force d’un souffle héroïque pour racheter le bourreau.

On a voulu nous dire que l’Europe était morte dans la Seconde Guerre mondiale, d’une mort précipitée par la trahison la plus absurde de son âme et de son héritage antique. Athènes, Rome et Jérusalem ; Reims, Paris, Londres et Berlin, Turin et Leipzig, Varsovie et Iéna aussi… Toutes passées par le feu, réduites en cendres, portées disparues sous les débris d’Oradour-sur-Glanes, puis solennellement ensevelies dans les décombres de la cathédrale de Dresde.

Il y a eu des prophètes pour affirmer que « l’homme blanc est mort à Stalingrad » ; Stalingrad choc des forces destructrices, rencontre des idéologies traîtresses, noces funèbres. Et un bilan collatéral, un charnier d’hommes qui ne mouraient que pour défendre leur patrie, leurs quatre coins de terre, plutôt que les démons qui les agitaient.

Réjouissez-vous, époux inépousés, patriotes ardents qui ne demandiez qu’une juste paix, vous qui vouliez l’uniforme et le fusil sans embrasser l’insigne, Feldman nous sauve.

« Imbéciles, c’est pour vous que je meurs ! »

Et c’est sans doute dans ce dernier cri véritablement séminal que se cache la seule réconciliation possible des contraires apparents, chemins parallèles nés d’un même sillon, et non pas fracture définitive. Ce qu’il y a encore de vibrant et de vivant en Europe, pour les temps présents, ce qui n’est pas mort à ce moment là, est ensemancé par ce cri. C’est le passage du témoin, qui par-delà la trahison du frère et bourreau — Caïn — transmet l’honneur et l’unité d’une Europe à sa descendance, comme pour assurer son salut temporel. Valentin Feldman est l’image d’Abel. « Ah ! Race d’Abel, ta charogne / Engraissera le sol fumant ! »

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