Figure romantique et tragique, Louis Nathaniel Rossel fut un personnage majeur de la Commune de Paris dont il dirigea les troupes et qu’il choisit de rejoindre par patriotisme plutôt que par conviction idéologique. Il fut condamné à mort lors de la répression versaillaise après une fulgurante carrière admirée par le général de Gaulle dont la vie n’est pas sans étonnantes ressemblances avec cet officier « communard ».
C’est à seulement 27 ans que Louis-Nathaniel Rossel est amené face au peloton d’exécution pour jouer l’acte ultime de sa vie. On imagine le plateau de Satory blanchi par la gelée et la brume prête à s’envoler en cette aube du 28 novembre 1871. Des hommes de son ancien régiment se tiennent devant lui, prêts à armer leurs fusils pour appliquer la peine capitale. Quelques minutes plus tard, il quitte ce monde, théâtre de la fin sanglante de la Commune de Paris et de nombreux de ses défenseurs. Nous sommes alors quelques mois après cet éternel printemps du Temps des cerises au cours duquel l’impitoyable répression contre l’idéal égalitaire et l’esprit d’insoumission qui animèrent Paris durant l’insurrection au drapeau rouge.
UN OFFICIER INSOUMIS
C’est cet esprit d’insoumission qui marque la vie de Rossel. Un caractère frondeur qui n’est probablement pas sans liens avec les Cévennes, sa région natale à la nature sauvage et à l’histoire rebelle. Le futur militaire naît dans une famille de fervents protestants dont les ancêtres ont connu la révolte des camisards. C’est dans la lignée de son père officier qu’il intègre l’école polytechnique et devient capitaine du génie alors que le bruit de la guerre se fait entendre de l’autre côté du Rhin. La sinistre année 1870 vient de commencer et son cortège de misère va s’abattre sur la France. Le décor est installé, Rossel peut entrer dans l’histoire. Alors en poste à l’arrière, le jeune soldat demande à rejoindre le front. On le transfère alors dans l’armée du tristement célèbre maréchal Bazaine avec laquelle il se retrouve encerclé dans Metz. Animé par un patriotisme intransigeant comme le sera plus tard le général de Gaulle, il rejette la sève défaitiste qui innerve le pays.
La France sort alors deux mois de défaites successives. Napoléon III est prisonnier après sa capture à Sedan. L’Aigle de l’empire est tombé et la république a été proclamée le 4 septembre. C’est dans cette ambiance qu’il tente alors, sans succès, de mobiliser les autres officiers contre leur chef, Bazaine qui négocie la capitulation de la ville. Avec celle-ci, ce sont 100 000 hommes qui se rendent et ruinent ainsi les maigres espoirs français de renverser une situation militaire catastrophique alors que Paris est maintenant aussi encerclée. Déguisé en paysan, Rossel décide d’échapper à la capture et traverse les lignes ennemies pour fuir vers la Belgique puis passe en Angleterre. Etonnante communauté de destin encore avec le futur homme du 18 juin. Les deux hommes placèrent toujours leur devoir de patriote avant celui de soldat. Rossel écrit d’ailleurs alors ces lignes que n’aurait pas démenti Charles de Gaulle : « Tant qu’il y a en France un centre de résistance (et ce centre existe à Paris), tant que l’ennemi est sur notre territoire, il ne faut accepter avec lui aucun compromis, ne signer aucun engagement sous aucun prétexte. »
Des îles britanniques, il traverse la Manche et rejoint Tours pour continuer la lutte auprès de Gambetta, qui anime la résistance et souhaite mobiliser la France alors que la Capitale est coupée du reste du pays. Le méditerranéen énergique sait animer le patriotisme français alors que se profile inexorablement la défaite. Les deux hommes pourraient s’entendre, partisans tous deux de la guerre à outrance et opposés aux négociations menées par le gouvernement avec l’ennemi. Rossel est envoyé en mission de renseignement mais il est peu à peu désabusé par l’action inefficace de Gambetta sur lequel il écrit ces mots sévères : « Il est aussi coupable que les autres par le mauvais choix de ses généraux. »
L’INSURRECTION DU 18 MARS
Le 26 février l’Assemblée réfugiée à Bordeaux signe une paix humiliante avec l’Allemagne. A Paris, l’opinion est chauffée à blanc. Après plusieurs semaines de siège durant lesquelles les Parisiens ont pu constater l’incompétence de nombreux politiques et militaires. Sur ce feu qui couve, le gouvernement jette de l’huile. Le drame peut commencer. Le nouvel homme fort de la république, Adolphe Thiers prend un certain nombre de mesures impopulaires et décide de récupérer les canons de la Garde nationale. Décision inacceptable pour une partie des Parisiens qui refusent la défaite et veulent continuer le combat. Il ne manquait plus que cette étincelle. Elle démarre l’insurrection et le début de la Commune de Paris. Se rallier à cette révolte opposée au gouvernement « capitulard » semble, pour Rossel, le seul moyen de continuer le combat contre les Allemands. Il ne fait que peu de cas du mépris des officiers de l’armée pour lesquels les « communards » ne sont que de la « canaille » à mater. Ainsi le général Gallifet écrira à son propos : « Ce Rossel qui avait reçu une éducation d’honnête homme qui aurait dû lui interdire de devenir un chef de gueux, avait-il vraiment des convictions ? » Ce sont pourtant au contraire des convictions sincères et intangibles qui l’amènent à la désobéissance. Comme de Gaulle en 1940, les intérêts supérieurs du pays le commandent. Un soldat doit savoir désobéir quand les chefs trahissent. C’est ce qu’il écrit à son supérieur : « Instruit par une dépêche de Versailles rendue publique aujourd’hui qu’il y a deux partis en lutte dans le pays, je me range sans hésitation du coté de celui qui n’a pas signé la paix et qui ne compte pas dans ses rangs des généraux coupables de capitulation. »
La Commune ne tarde pas à utiliser ses compétences exceptionnelles. Rapidement, à Paris, son autorité s’impose à tous. C’est bien face à l’adversité que l’on reconnait les grands chefs. L’insurrection parisienne manque de tout dans cette lutte à mort qui s’ouvre avec le gouvernement officiel de la République qui siège à Versailles sous la protection de l’armée encore fidèle au régime. Ce sont les soldats de la ligne, les « lignards » ou les « Versailleux » comme les appellent avec mépris les « communards ». Rossel prend le commandement de la Garde nationale du 17ème arrondissement et mène un assaut sur le pont de Neuilly où ses troupes surclassées battent en retraite. Malgré cet échec, il est alors rapidement nommé à l’Etat major du général Cluseret, commandant les troupes parisiennes. Il prend alors conscience de carences majeures de troupes de l’insurrection qui manquent d’unité de commandement à l’image de la direction du mouvement insurrectionnel traversé par de nombreux courants qui paralysent son action. On y retrouve essentiellement des jacobins, des blanquistes et des internationalistes. De plus, pour beaucoup, les Gardes nationaux se plient difficilement à la discipline militaire mais dans une guerre, l’idéalisme égalitaire ne fait pas remporter des victoires.
Conséquence de ses qualités supérieures, Rossel est nommé le 30 avril délégué à la guerre. Il dirige alors officiellement l’ensemble des forces militaires de la Commune. Dans une lutte inégale et perdue d’avance, le nouveau commandant tente d’organiser au mieux la défense de Paris et cherche à reprendre l’offensive contre Versailles. Son activité y est inlassable mais son autorité est entravée par un commandement indivis ainsi que les nombreuses rivalités politiques au sein de l’insurrection. Son aura et son énergie ainsi que l’influence qu’il commence à prendre sur la Garde nationale gênent et on l’accuse d’aspirer à la dictature militaire. Face à ces soupçons et en raison de ses désillusions politiques envers le mouvement, il donne sa démission dix jours après sa prise de fonction. Il exprime ainsi ce sentiment désabusé même s’il ne renie en rien sa fidélité à la Commune : « Je n’ai aucune prévention en faveurs des communeux ; eh bien ! Je dois dire que j’aime mieux, malgré toutes les hontes de la Commune, j’aime mieux être avec ces vaincus qu’avec ces vainqueurs. »
Le mouvement parisien vote alors son arrestation guidée par les nombreux ennemis que son intransigeance lui a créés. Il doit se cacher jusqu’à l’écrasement du mouvement lors de la semaine sanglante entre le 21 et 29 mai. Ce sont cette fois les Versaillais qui veulent sa tête car l’officier est coupable, selon eux, d’avoir trahi l’armée et le gouvernement de la République. Face aux juges, Rossel est conscient de n’avoir aucune chance et sa condamnation à mort n’est une surprise pour personne. Pourtant de nombreuses pétitions réclament sa grâce et Victor Hugo écrit un article pour prendre sa défense. Thiers lui propose alors une grâce en contrepartie de l’exil. Ce patriote refuse de quitter la France et préfère la mort. Intransigeant jusqu’au bout, il refuse encore une fois toute compromission. Louis Nathaniel Rossel meurt comme il vécut, avec la dignité des hommes droits.
BIBLIOGRAPHIE
L’avènement de Monsieur Thiers et réflexion sur la Commune, Henri Guillemin, publié par Utovie
Cette curieuse guerre de 1879, Henri Guillemin, publié par Utovie
L’héroïque défense de Paris (1870-1871), Henri Guillemin, publié par Utovie
La capitulation (1871) Henri Guillemin, publié par Utovie
Lien vers les éditions Utovie qui rééditent l’œuvre de Henri Guillemin :
http://www.utovie.com/catalog/index.php
La Commune Et L’officier – Louis-Nathaniel Rossel, Gilbert Maurey, publié par les Editions Christian
Louis-Nathaniel Rossel. Mémoires : Procès et correspondance, présentés par Roger Stéphane, publié par Jean-Jacques Pauvert
Le roman de Rossel, Christian Liger, publié par Robert Laffont